"C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule."
30.5.12
Les aventuriers
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, habiter dans le Marais a aussi des inconvénients, dont le moindre n'est pas le rétrécissement progressif de ton univers. Après tout, pourquoi se déplacer quand le monde est à portée de main, avec ses musées, ses cafés, ses parcs et ses magasins ouverts le dimanche ? Alors tu vis tranquillement ta vie dans un mouchoir de poche, jusqu'au jour où tu finis par prendre une gourde et une lampe frontale pour passer l'après-midi à la Villette. Alors que chacun sait qu'il suffit d'un sac banane et de quelques travellers chèques pour voyager l'esprit tranquille.
Mais dimanche matin, prise de nostalgie au souvenir de l'époque où je prenais encore le RER parce que j'étais trop une ouf dans ma tête, j'ai décidé de laisser parler le Crocodile Dundee qui sommeille en moi et j'ai entraîné mon Brun et mon Pois chiche... au musée du quai Branly. C'était la première fois qu'on y allait et malgré une expérience assez pénible au café - i.e. deux heures d'attente pour manger une mauvaise salade à 17 euros - j'ai adoré cet endroit ! L'idée, c'était de commencer par Les Maîtres du désordre, une exposition temporaire sur le désordre du monde et les tentatives humaines pour le réguler. Jusqu'à ce qu'un gardien m'annonce que c'était déconseillé aux moins de dix ans. Alors on a hésité. Jusqu'à ce que le type qui vendait les billets m'affirme qu'on pouvait très bien éviter les quelques œuvres susceptibles de choquer les enfants. Alors on s'est réjouis. Jusqu'à ce que la jeune fille à l'entrée de l'expo se récrie que c'était déconseillé aux moins de 14 ans. Alors... dites les gars, vous pourriez vous mettre d'accord, là ?!
Bref, on a renoncé à voir les Maîtres du désordre et on s'est dirigés vers la collection permanente. Verdict : tout est magnifique et la scénographie est parfaite ! Sache juste que c'est gigantesque. Le Pois chiche a tenu une bonne heure et on est loin d'avoir tout vu. Il est vrai qu'on a passé un long moment à s'extasier devant une espèce de grande pyramide humaine... jusqu'à ce que je réalise que la plupart des personnages étaient VRAIMENT très bien membrés et se témoignaient leur amitié dans les fesses. Bon le nain, et si on allait plutôt voir ces jolies têtes de mort ?
Pour achever en beauté notre parcours touristique, on est passés sous la tour Eiffel et on a admiré la vue en haut du Trocadéro. Et c'était bien.
Allez, c'est décidé : la prochaine fois je tente un arrondissement à deux chiffres.
25.5.12
Diagnostic différentiel
Tu l'auras peut-être remarqué, mais ces derniers temps, je brille par mon absence virtuelle. Je pourrais t'expliquer que la jeune fille qui va chercher le Pois chiche à l'école m'a annoncé un jeudi qu'elle partait à l'étranger le lundi suivant et qu'elle n'avait pas encore pris son billet retour ; que je cours depuis un mois entre l'école, le bureau, le supermarché, l'école et la maison ; que je rêve de passer quinze jours d'affilée dans mon lit ; que non contente d'avoir travaillé tous les jours fériés de cette saleté de mois de mai, j'ai dû jongler entre les grands-mères, les sœurs, les amis
Mais qu'il me suffise de t'annoncer que j'ai une sciatique.
Et comme dit mon père, la sciatique, c'est quand on en a plein le cul. CQFD.
27.4.12
La vie sauvage
Ici aussi, comme chez elle, il y a eu de la cousinade à gogo. Enfin,"ici"... Je me comprends, hein. Tu le sais, on a la chance d'avoir deux grands-mères très disponibles et assez extraordinaires, chacune à sa manière. Cette fois, c'est ma mère qui est partie à la campagne avec tous les cousins. Dis comme ça, ça n'a l'air de rien. Mais si je te précise que les cousins, ça fait quand même sept enfants dont le plus jeune a 3 ans et demi et la plus âgée 17 ans, c'est tout de suite plus impressionnant, non ? Sans compter qu'il y avait aussi la copine d'une de mes nièces, plus le fils d'une amie de mes parents qui a l'âge du Pois chiche et qui a passé deux jours là-bas. Une vraie colonie de vacances.
Et tu peux me croire, pour eux, c'est le paradis. C'est simple, ils sont tout le temps en vadrouille. Il y a la cabane que mon père a fait construire dans un arbre, derrière la maison. Mais pas une cabane, genre trois morceaux de bois, nooooon. Une cabane avec deux lits de camps, à 6 mètres du sol, où on peut se raconter des histoires de loup-garou avant de s'endormir blotti sous les couvertures et transi d'effroi. Il y a le ruisseau, avec ses pierres de gué et sa cascade. Il y a la promenade dans les vignes, le pain sec qu'on emporte pour les brebis et qu'on grignote en cachette sur le chemin, les meules de foin qu'on escalade précautionneusement l'été, les descentes en luge, l'hiver quand il y a de la neige. Il y a la liste des sandwiches, qu'un des grands note sur une feuille en tirant la langue, et le panier pique-nique qu'ils emportent comme un trésor au fond du jardin. Il y a la valise que je ne peux pas m'empêcher de préparer, même si je sais parfaitement qu'elle puisera uniquement dans la réserve des vieux vêtements qui ont déjà servi aux autres et qui ne craignent plus rien. Il y a le bain qu'ils prennent à trois et l'ancien grenier, où ils dorment tous ensemble. Et au milieu de tout ça, il y a ma mère, qui habille, soigne un bobo, règle une dispute, prépare les sandwiches, range la maison, organise une promenade, fait un atelier peinture sur œufs, va voir les vaches, aide à préparer un crumble, fait de la soupe, déshabille, raconte une histoire, monte une tisane à l'une, allume la veilleuse de l'autre. Ma mère qui n'arrête pas un instant...
C'est con, elle ignore l'existence de ce blog. Mais quand même, merci môman.
24.4.12
Perturbations passagères
Bon, je suis au fond du gouffre. Comme disait l'autre : "le monde est glauque et ça s'écrit G-2-L-O-Q, mon ami." Tu vas dire que je cherche, aussi. Et tu n'auras pas tort. Par exemple, hier, je ne sais pas ce qui m'a pris, je suis sortie en CHAUSSETTES sous la pluie... Oui oui, tu as bien lu. Bien sûr, j'avais des sandales autour. Mais il suffit de marcher dans une flaque d'eau pour comprendre que la sandale, c'est purement décoratif. Je devais avoir la tête ailleurs, je vois que ça. Mais c'est cette soirée électorale, aussi ! Voir Rachida Dati se mettre à racoler à l'extrême-droite dès dimanche soir en évoquant la nécessité de contrôler l'immigration, c'était presque aussi déprimant que de penser aux quelques six millions de personnes qui ont voté FN... Et le pire, c'est que ça ne m'a pas empêchée d'enchaîner sur la lecture de L'Elimination. Pourtant, il n'y avait pas tromperie sur la marchandise : quand t'achètes le livre dans lequel Rithy Panh (le réalisateur de S21 - la machine de mort khmère rouge) raconte ce qu'il a vécu entre 13 et 17 ans, sous le régime de Pol Pot, et comment il a survécu à toute sa famille, tu sais que ça va pas être une partie de franche rigolade. Mais ce qui m'a le plus foutu le bourdon, ce sont ses entretiens avec Duch, directeur de S21 et chef de la police politique du Kampuchéa démocratique. Je trouve qu'il n'y a rien de plus angoissant que d'être confronté à l'humanité qui est à la base des actes les plus inhumains. Bref, quand j'ai refermé le livre, j'avais bien le moral dans les chaussettes (mouillées). Et si la moindre pensée positive avait réussi à surnager dans le marasme général, elle a définitivement été balayée par l'article que j'ai lu ce matin dans le journal et qui décrivait les exactions insupportables commises par l'armée syrienne à Holms.
Je me dis que pour faire un enfant dans ce monde-là, il faut être inconscient. Ou très con.
Ou peut-être juste d'un incurable optimisme. D'autant qu'il suffit parfois de découvrir un groupe dont les chorégraphies déjantées semblent tout droit sorties de l'imagination de Michel Gondry pour reprendre du poil de la bête. Alors si toi aussi t'as besoin d'un peu de soleil dans l'eau froide, regarde donc les clips d'OK GO... (si vraiment t'as pas le temps de regarder les trois, je te conseille d'aller directement au dernier, mon préféré).
20.4.12
Lu en 2012 #2
La Délicatesse, de David Foenkinos
Ah, La Délicatesse... Quelle grosse déception. Je ne sais pas pourquoi, je m'attendais à autre chose. Peut-être parce que j'en avais lu beaucoup de bien. Ce n'est pas que je me sois ennuyée, je l'ai même lu d'une traite. Mais cette femme trop lisse, à laquelle on ne croit pas un instant, cette accumulation de dialogues un peu creux... Disons que c'est le genre de livre que t'achètes au Relai H. avant de prendre le train et que tu donnes une fois arrivée à destination. En même temps, je ne peux m'en prendre qu'à moi, parce que la quatrième de couverture est tout à fait représentative du reste du livre.
"François pensa : si elle commande un déca, je me lève et je m'en vais. C'est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n'est guère mieux. On sent qu'on va passer des dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents. Finalement, il se dit qu'un jus, ça serait bien. Oui, un jus, c'est sympathique. C'est convivial et pas trop agressif. On sent la fille douce et équilibrée. Mais quel jus ? Mieux vaut esquiver les grands classiques : évitons la pomme ou l'orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans être toutefois excentrique. La papaye ou la goyave, ça fait peur. Le jus d'abricot, c'est parfait. Si elle choisit ça, je l'épouse... - Je vais prendre un jus... Un jus d'abricot, je crois, répondit Nathalie. Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité."
Des Vents contraires, d'Olivier Adam
J'ai été séduite par ce personnage à vif dont l'existence s'organise en creux, autour d'une mère absente et d'une mer omniprésente. C'est le premier roman d'Olivier Adam que je lis, mais j'avais énormément aimé l'adaptation ciné de "Je vais bien, ne t'en fais pas" et je crois que je vais m'attaquer au reste...
"Sarah a disparu depuis un an, sans plus jamais faire signe. Pour Paul, son mari, qui vit seul avec leurs deux jeunes enfants, chaque jour est à réinventer. Il doit lutter avec sa propre inquiétude et contrer, avec une infinie tendresse, les menaces qui pèsent sur leurs vies. Épuisé, il espère se ressourcer par la grâce d'un retour à Saint-Malo, la ville de son enfance."
Waterloo Nécropolis, de Mary Hooper
Waterloo Nécropolis attendait depuis très longtemps dans ma pile de livres à lire. Pour tout te dire, il faisait partie du panier garni gagné cet été chez la Soupe de l'Espace (mais si souviens-toi). Je n'arrivais pas à m'y mettre parce que j'ai toujours l'impression - un peu idiote - que la littérature jeunesse, c'est pour les jeunes (ne va pas en conclure que je suis vieille, hein...). Alors que je peux passer des heures dans les rayons de littérature enfantine. Va comprendre, Charles. Bref, j'ai fini par m'y mettre et je ne l'ai pas regretté. L'histoire est assez convenue et tu devines rapidement comment elle va se terminer, mais la description de Londres - en particulier de ses bas fonds - est formidable. Et au cas où les références humanistes de Mary Hooper ne seraient pas assez claires, il y a même une apparition éclair de Dickens en personne. Mais si, comme moi, tu préfères les romans pour jeunes adultes que pour jeunes jeunes (tu me suis toujours ?) et que le Londres du XIXè te fascine, je te conseille les excellents polars d'Anne Perry (surtout la série avec William Monk).
"Londres, 1861. Grace, presque 16 ans, embarque à bord de l'express funéraire Necropolis, en direction du cimetière de Brockwood, pour y dire adieu à un être cher.Elle fera là-bas une rencontre décisive en la personne de Mr et Mrs Unwin, entrepreneurs de pompes funèbres, qui lui proposent de devenir pleureuse d'enterrement. D'abord réticente, la jeune fille finit par accepter leur offre, après qu'elle et sa soeur Lily se retrouvent à la rue. Toutes deux ignorent encore qu'elles vont devoir faire face aux manigances de cette famille peu scrupuleuse, prête à tout pour s'emparer d'un mystérieux héritage..."
Les Anonymes, d'R.J. Ellory
Un polar assez complexe, peut-être un peu trop. L'histoire m'a tenue en haleine jusqu'à la fin, mais j'ai trouvé l'écriture moins originale que dans "Seul le silence". Et puis, si t'as vraiment envie de lire des choses sur les magouilles de la CIA pendant la guerre froide, je te conseille d'aller dévorer American Tabloïd, de James Ellroy. Presque le même nom, mais un cran au-dessus quand même.
"Washington. Quatre meurtres. Quatre mode opératoires semblables. Tout laisse à penser qu’un serial killer est à l’œuvre. Enquête presque classique pour l’inspecteur Miller. Jusqu’au moment où celui-ci découvre qu’une des victimes vivait sous une fausse identité, fabriquée de toutes pièces. Qui était-elle réellement ? Ce qui semblait être une banale enquête de police prend alors une ampleur toute différente, et va conduire Miller jusqu’aux secrets les mieux gardés du gouvernement américain."
Feu de Camp, de Julia Franck
Feu de Camp s'ouvre sur le moment où Nelly et ses enfants passent la frontière pour entrer en Allemagne de l'ouest et c'est une scène magistrale, pour moi la plus réussie de tout le roman. Faute de moyens, la petite famille se retrouve parquée dans un camp de transit où le rêve d'une vie meilleure s'effiloche entre les interrogatoires des services secrets et les mesquineries de cette existence communautaire. Je ne te cache pas que si tu comptais sur Feu de Camp pour illuminer ce mois d'avril tout pourri, c'est mal barré... Personnellement, je l'ai lu par petits morceaux tellement c'est glauque. J'ai trouvé que l'intrigue avait un peu tendance à se perdre sur des chemins de traverse, mais tout ce qui touche au personnage de Nelly est très touchant et juste, et c'est quand même une période passionnante de l'histoire contemporaine. A lire, donc.
"Feu de camp Berlin-Est, fin des années soixante-dix : une jeune femme dont la beauté classique et la tranquille détermination suscitent partout la curiosité a obtenu de passer à l’Ouest avec ses deux enfants Aleksej et Katja. Après avoir affronté les mille et une menaces et humiliations qu’infligeait la RDA à ces candidats au départ, voici Nelly Senff au pays de l’abondance et de la liberté. Mais l’Ouest, c’est d’abord pour les réfugiés la promiscuité d’une chambre partagée avec des inconnus au camp de Berlin Marienfelde et un avenir incertain. Sans compter les interrogatoires soupçonneux et sans fin de la CIA."
27.3.12
Oedipe shmoedipe !
C'est un rituel. Quand il sort du bain, avec ses cheveux encore humides et sa bonne odeur de propre, mon Pois chiche se glisse avec délice sous notre couette le temps que j'aille chercher son pyjama. Hier, alors que je me penchais vers lui pour lui passer le haut, il a noué ses bras autour de mon cou et il a déclaré :
- Moi, je suis ton amoureux.
- Non, chaton. Mon amoureux, c'est papa.
- Mais tu es quand même ma maman ?
- Oui, je serai toujours ta maman.
- Et papa, ça sera toujours ton amoureux ?
- J'espère, oui. Et toi aussi, un jour, tu auras une amoureuse.
- Moi, je veux avoir une amoureuse maintenant.
- Ah bon, et pourquoi ?
- Pour me MAAAARIER !
Je déclare la période des grandes questions existentielles officiellement ouverte.
1.3.12
Dans la nuit...
4 h 30 du matin. Arrimée au Brun, je tangue gentiment vers la maison après une soirée bien arrosée. Soudain, une femme nous aborde. Elle se tient très droite dans un long manteau noir avec le col relevé autour du cou. Elle est... classe. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit. Pourtant, le reste de sa tenue ne laisse subsister aucun doute sur la précarité de sa situation et malgré sa beauté, le visage encadré d'une courte chevelure brune porte les stigmates de la galère. "Excusez-moi, vous auriez un euro ou deux ?" On commence à fouiller nos poches, mais elle poursuit déjà : "Dites, mon ami et moi, on est à la rue. On peut se reposer un moment chez vous ?" Euh... non. C'est là que tu mesures le fossé entre celle que tu voudrais être, qui n'hésiterait pas un instant à ouvrir son canapé-lit à un SDF pour la nuit, et celle que tu es, qui flippe complètement à l'idée de laisser entrer deux inconnus chez elle. Elle insiste : "Il faut m'aider, parce que j'ai peur. Je ne sais pas ce qu'il a, je ne l'ai jamais vu comme ça." Je regarde son compagnon, avec sa figure couverte d'ecchymoses, qui gesticule sans nous prêter attention. On propose de l'emmener prendre un café.
Pendant qu'elle ramasse ses affaires éparpillées sur le trottoir pour les enfourner à la hâte dans deux grands sacs plastique, l'homme s'approche et la prend violemment à partie. Le Brun le repousse en douceur, nous attrapons chacun un sac et nous nous mettons en route dans la rue déserte. Elle nous dit : "Je suis fatiguée. J'ai accouché il y a quatre mois." Effectivement, le Brun se souvient de l'avoir vue enceinte quelque temps auparavant. Elle marche très vite, quelques mètres devant, tandis que lui sautille tout autour et interpelle les rares passants pour réclamer une cigarette. De temps en temps, il pose des questions. Il veut savoir si on est mariés, si on a des enfants... Il la bouscule à nouveau, pas très fort, et n'insiste pas lorsque le Brun s'interpose. J'admire mon amoureux qui garde le sourire et lui parle calmement, sans agressivité. Quand on arrive à Saint Paul, tout est fermé. Manifestement, Les Chimères n'ouvrent plus toute la nuit. Je pense à mon lit, j'ai honte de penser à mon lit et j'ai envie de pleurer.
On continue à remonter la rue de Rivoli vers l'Hôtel de ville, dans l'espoir de trouver un café ouvert. Place du Bourg-Tibourg, il y a de la lumière à l'Etincelle. A l'entrée, le sourire du gérant s'étiole dès qu'il voit les sacs plastique et le couple derrière nous. Je m'approche : "On voudrait prendre un café, mais il ne faut pas laisser le monsieur entrer." Le type m'écoute à peine, il fait un signe au videur et c'est ce dernier qui me répond : "Personne ne va prendre de café, je vous prie de sortir." Le Brun est toujours aussi calme. Il parlemente : "Ce monsieur est un peu agressif, elle a peur de rester seule avec lui." L'autre secoue vigoureusement la tête : "Non, c'est pas possible." Je commence à m'énerver : "Et donc, ça ne vous gêne pas s'il la brutalise devant votre établissement ?" "Il ne lui fera rien. Je les connais, ils sont tout le temps dans le coin." Le Brun insiste : "Sauf que là, elle dit qu'elle ne l'a jamais vu comme ça." Le videur hausse les épaules. On se tourne vers la femme : "Vous voulez qu'on appelle la police ?" Elle est plantée au milieu de la terrasse avec ses sacs, le regard vide, tandis que son compagnon s'agite devant le café. Il est 5 heures du matin et on ne sait pas quoi faire. Le gérant s'avance vers le boulevard pour guetter une patrouille de police et le videur promet à contre-coeur de surveiller l'homme. Je lui glisse un billet entre les mains, elle me fait un baiser furtif sur la joue et on repart, comme des voleurs.
On les a revus quelques jours plus tard, sous les arcades de la Place des Vosges. Elle était toujours aussi classe, emmitouflée dans une veste de fourrure blanche. Assise par terre, la tête entre les mains, elle pleurait en écoutant une femme chanter un air d'opéra. Quant à lui, c'est le Brun qui l'a repéré, un peu à l'écart. Au milieu de cette foule de gens qui applaudissaient, il était le seul à tourner le dos à la chanteuse.
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