"C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule."


13.2.15

Au revoir Francis


Je ne garderai de toi ni ta silhouette décharnée, ni ton regard absent, ni la morne tristesse qui imprégnait ta chambre d'hôpital. C'est la dernière fois que je t'ai vu et déjà, tu semblais comme rapetissé, concentré entièrement sur ta peur de la douleur et de la mort.

Je garderai plutôt ta voix rocailleuse où roulait encore l'accent de Bordeaux, ta maigreur élégante, tes lunettes ébréchées, ton sourire édenté, ta nonchalance de clochard céleste...
Je garderai précieusement les histoires que j'ai appris à ne pas prendre pour argent comptant - "Tu sais à quoi ça sert, un enjoliveur, sur une voiture ? A la rendre plus jolie. Eh bien moi, c'est pareil : j'enjolive !"
Je garderai ta façon de demander de l'argent comme si tu redistribuais les richesses.
Je garderai le goût de la bouteille de vin que tu m'as offerte pour la naissance de ma fille.
Je garderai le souvenir de la côte de boeuf qu'on s'est envoyée pour fêter ton nouveau dentier, ce même dentier que tu as ensuite égaré et que les éboueurs t'ont rapporté deux jours plus tard.

Je te garderai tel que tu étais le soir où tu m'as emmenée au théâtre, ronflant comme un sonneur sur ton fauteuil de velours rouge, hermétique aux murmures désapprobateurs de tes voisins.
Je te garderai tel que tu étais le matin où je t'ai vu débarquer pour notre café matinal, sale comme un peigne, avec un coquart et du sang sur la figure, hilare, le front ceint d'une lampe frontale allumée, sortant d'une nuit de beuverie dans les catacombes.



Tout cela, je le garderai précieusement dans un coin de ma mémoire.
Le 12 février, tu aurais eu 58 ans.

Au revoir 6francs, au revoir mon Francis, tu vas me manquer.


Ps : Si toi aussi, tu veux entendre la voix rocailleuse de mon ami, tu peux l'écouter lors de son passage chez Stephane Paoli sur France Inter ICI.