"C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule."


26.10.12

The Big Picture



Bon, je ne te cache pas que depuis que le Pois chiche est scolarisé, les rentrées sont devenues plus rock'n'roll par ici. Surtout quand j'arrive à Paris le 2 septembre sans même avoir commencé à chercher la perle qui ira récupérer mon fils et sa copine la Croquette à la sortie de l'école et qui les divertira intelligemment tout en les empêchant de mettre sens dessus dessous la chambre, qui est après tout la seule pièce encore à peu près salubre de notre appartement. Tu peux me croire, c'est un challenge.

Pourtant, les candidats ne manquent pas... Il y a, par exemple, la fille qui n'est jamais venue à l'entretien et à qui j'ai laissé un message furibard parce qu'elle n'avait même pas daigné nous prévenir. Réponse de l'intéressée quelques siècles heures plus tard : "Dslé, G pas pu aplé G plus de forfait." Il y a aussi celle qui avait l'air super et que je voulais à tout prix, mais que l'agence avait déjà placée ailleurs. Celle qui ne pouvait pas le jeudi. Celle qui pouvait, mais plus tard. Celle qui avait trouvé une famille plus près de chez elle. Celle qui était pleine de bonne volonté mais qui habitait à Pétaouchnoc et qui est arrivée très en retard à l'entretien parce qu'elle avait eu un problème dans le RER... Il y a enfin le jeune homme aux très grosses lunettes qui m'a raconté sa vie. Toute sa vie. Comment son père l'a abandonné à la naissance, comment la DDASS a décidé de le séparer de sa mère alcoolique, comment il a passé 15 ans en famille d'accueil, comment il souffre d'une grave maladie des yeux qui a failli le rendre aveugle (d'où les très grosses lunettes, si tu suis bien) et comment il est aujourd'hui le seul soutien de sa mère diabétique - mais sobre. Je te jure que je n'invente rien.

Qu'importe ! Tu persévères et bon an mal an, après quelques hauts et d'innombrables bas, tu signes enfin un contrat. A toi les après-midi de boulot ininterrompues et les déjeuners qui s'éternisent, la vie ne sera plus désormais qu'un long fleuve tranquille - te dis-tu, dans ton immense naïveté. Grossière erreur ! Tu viens d'entamer un parcours de rafting en apnée, petit scarabée. D'ailleurs, quand Machinette - appelons-la comme ça pour la commodité du récit - a fait une demande d'ajout Facebook à la maman de la Croquette à 17 h 09 dès le deuxième jour, on aurait dû se douter qu'il y avait une couille dans le potage.

Sans même parler des 7 000 textos qu'elle nous envoyait chaque soir pour poser toutes les questions les plus connes qui lui passaient par la tête : "Je suis perdue, où est le parc ? Le Pois chiche veut enlever ses chaussures, je peux lui mettre ses chaussons ? La Croquette est tombée, elle pleure, que dois-je faire ? Comment allume-t-on la télé ? Ah bon, pas de télé ? Comment allume-t-on la chaîne hi-fi ? Et pour mettre en marche le CD, je fais quoi ? Les enfants vous réclament, vous rentrez bientôt ? Vous aimez la tête de veau ? Et sinon, pensez-vous que la notion de progrès est toujours positive ?" Ah non, pardon ! Ça, c'était l'épreuve de philo au bac... Noyées dans ce flot d'interrogations existentielles, nous avons omis de nous poser LA vraie question. A savoir, où diable trouve-t-elle le temps de garder nos gamins, dans tout ça ?! Eh bien, elle avait tout simplement mis cet aspect-là du poste entre parenthèses.
Et comme la méthode Coué n'a qu'un temps, on a eu beau se répéter en boucle elle-est-bien-tout-va-bien, il a quand même fallu se rendre à l'évidence quand pour la troisième fois, des parents bien intentionnés nous ont signalé que les deux nains étaient livrés à eux-mêmes. Nos relations se sont ensuite rapidement détériorées, jusqu'au jour où le Brun est arrivé au parc plus tôt que prévu et qu'il a passé un bon quart d'heure à jouer avec le Pois chiche et la Croquette dans le bac à sable sans qu'elle lève un instant les yeux de son téléphone. Exit, Machinette.

Je te rassure, depuis on a retrouvé une jeune femme qui a l'air super et que les enfants adorent. Mais quand même, ça m'aura bien fait suer, cette histoire. Je n'ai d'ailleurs pas manqué de m'en plaindre ad nauseam à tous ceux qui avaient le malheur de m'adresser la parole, ces derniers temps.

Et puis, je suis tombée sur Liberté Egalité Maternité, le blog d'une sage-femme qui raconte ses missions humanitaires dans des pays en guerre. C'est parfois drôle, souvent émouvant. Voire bouleversant - comme ICI. Ça m'a - un peu - remis les idées en place.