"C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule."


11.12.14

Life is a bitch



Ce vendredi-là, je suis arrivée devant l'école à 18h pour récupérer mon fils et j'ai vu sortir un Pois chiche en larmes, avec une grosse ecchymose sous l’œil. J'ai été abordée par une mère qui a aussitôt entrepris de m'expliquer que son gamin - appelons-le Zébulon - avait bousculé le mien sans faire exprès. "Hein Zébulon, que tu l'as pas fait exprès ?" L'animatrice du centre aéré avait l'air dubitatif, mais elle m'a dit que le fautif avait déjà été dûment chapitré par le directeur pendant qu'elle se chargeait de désinfecter et de consoler ma progéniture. La version du Pois chiche, confirmée par les autres enfants, c'est que personne ne voulait jouer avec Zébulon. Et quand, de mauvaise grâce, ils ont fini par le laisser participer à leur bagarre "il n'a pas compris que c'était pour de faux et il m'a poussé très fort et ensuite, il m'a tapé la tête par terre."

J'aurais pu lui rappeler qu'à la crèche, chez les moyens, à l'époque où Zébulon était le seul à ne pas encore marcher, il y avait toujours un gosse pour le bousculer en loucedé ou lui mettre une pichenette au passage et toujours une puéricultrice pour répéter d'un ton las : "Arrêtez d'embêter Zébulon !" Ça n'a pas duré, les tracasseries ont cessé dès qu'il a su marcher. Mais de voir que cette société miniature avait déjà un souffre douleur, ça nous avait un peu attristés, le Brun et moi.

J'aurais pu lui rappeler aussi que deux ans plus tard, quand ils sont tous les deux entrés à l'école, Zébulon, qui devait faire une tête de moins que ses camarades, était sujet à de violentes crises d'asthme qui l'obligeaient parfois à s'absenter plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Demander des nouvelles à sa mère, c'était s'exposer à subir l'interminable litanie des emmerdes que lui causaient Zébulon et sa maladie, la mairie qui refusait de lui trouver un appartement plus grand, la crèche de la petite dernière qui était trop loin de chez elle, la maîtresse qui ne comprenait rien à rien, etc, etc. Autant te dire que je suis rapidement devenue maître dans l'art de l'esquiver.

J'aurais pu lui rappeler enfin ce jour récent où on a croisé toute la famille devant la laverie. Pendant que ses parents et son oncle discutaient sur le trottoir, Zébulon paradait fièrement sur le vélo de grand qu'il venait d'avoir pour ses six ans. J'étais seule avec le Pois chiche et la Mouette et il faisait déjà nuit. Nous avons échangé quelques politesses, puis, profitant de ce que la Mouette taillait la route, j'ai coupé court. Le gosse nous a suivis sur son vélo trop grand pour lui. J'avais à peine parcouru quelques mètres qu'une passante a heurté l'oncle... qui a totalement disjoncté et s'est mis à hurler des insanités au milieu du trottoir. Je ne détaillerai pas plus pour épargner tes chastes oreilles, mais disons simplement qu'il connaissait mille et une façons de nommer les péripatéticiennes et que les pratiques sexuelles hors normes n'avaient manifestement aucun secret pour lui. Je crevais d'envie de lui dire "Vous en étiez à peau de couille, je crois," mais j'ai senti que le moment ne se prêtait pas aux références culturelles. Au lieu de quoi, j'ai attrapé le Pois chiche qui écoutait cette leçon de vocabulaire avec beaucoup d'intérêt, j'ai pris ma fille sous le bras et je me suis enfuie en laissant Zébulon se précipiter à la rescousse : "Mon tonton ! On embête mon tonton !" J'étais partagée entre gêne et fou rire...

J'aurais pu lui rappeler tout ça. Mais je me suis contentée de lui dire que bien sûr, on n'a pas le droit de taper les autres et puis j'ai ajouté que peut-être, Zébulon avait réagi très fort parce qu'il était triste que personne ne veuille jouer avec lui. Et j'ai pensé que, comme disent nos amis les anglais, la vie est décidément une plage pour certains...  

(Et là, tu comprends le choix de la photo qui illustre cet article, à défaut de comprendre mes jeux de mots pourris.)

3.12.14

Monologue d'un Pois Chiche de 6 ans



Moi, plus tard, je serai astronaute. Je serai le premier homme sur Mars. Et je veux aussi être prof de judo... Ou champion du monde, plutôt. Ouais, champion du monde, c'est mieux. Et après, je serai président de la république. Chef du monde, quoi. J'aurai des cadeaux tous les jours et on mangera des frites et des gnocchis à tous les repas. Ah ! Et des pizzas aussi. Comme les tortues Ninjas. Tu sais pourquoi je dis ça ? Hein, maman ? Maman ?! Tu sais pourquoi je dis ça ? Parce que j'ADORE les tortues Ninjas. Eh la Mouette ! Tu veux jouer ? Tu veux jouer avec moi ? Allez, va chercher la balle ! Va chercher la baballe ! Mais je sais que c'est pas un chien ! La Mouette ! Tu me donnes ton feutre ? Bon, je le prends, hein. Je lui ai pas arraché des mains, elle a dit oui ! Enfin, elle a hoché la tête. Je ne comprends pas pourquoi elle pleure... De toute façon, tu t'occupes que de la Mouette et jamais de moi.

Il va rentrer tard, papa ? J’espère qu’on pourra faire la bagarre ! Regarde, c'est un dessin pour toi. C'est les tortues Ninja. Non, ça c'est un arbre. Les tortues, elles sont là. Tu veux être qui, toi ? Pas Donatello, parce que Donatello, c’est moi. Et je viens d’avoir une petite sœur. Comment on va l’appeler ? Non, c’est nul Mona Lisa. Pourquoi pas « La Joconde », plutôt ? Tu sais que Pénélope, elle est un petit peu amoureuse de moi ? C’est Gaspard qui lui a demandé si elle était amoureuse de moi et elle a répondu : « Un peu. » Ah ben attends, pour une fois qu’une fille est amoureuse de moi, évidemment que je suis amoureux d’elle ! Eh la Mouette, t’es amoureuse de ta brosse à dents ? Ouarf ! Ouarf ! T’as entendu ce que j’ai dit maman ? « T’es amoureuse de ta brosse à dents ! ». Eh ! J'ai appris une blague à l'école. C’est un petit garçon qui dit à son papa : « Si on a un chat, on l’appellera comme celui du voisin. Alex. Mais seulement dehors, parce qu'Alex-térieur ! » Ah, celle-là, elle est bonne ! Elle est bonne, hein ? T’as compris la blague ? Alex-térieur ! Alex-térieur ! Elle est bonne, hein ! Le père Noël, il existe pas. En fait, c’est vous qui mettez les cadeaux. C’est vous, hein, maman ? Moi, je veux que tu me dises la vérité. Et la petite souris, c’est vous aussi ? Léo, il n’a pas perdu une seule dent, encore ! Alors que moi, t’as vu, j’en ai perdu deux ! Je suis fort, hein ?

Pour Noël, je sais que si je demande l’Etoile de la Mort Lego, tu vas dire non. Je peux jouer sur l’iPad ? Et sur l’ordinateur ? Sur ton téléphone ? Alors, je peux regarder un film ? Mais maman, je sais pas quoi faire ! Je m’ennuie. On joue au Dobble ? Eh, mais c’est de la triche ! Tu me laisses pas le temps de regarder. Tu réponds trop vite ! Tu sais, j’aime pas trop le Dobble finalement. Si on faisait un Uno, plutôt ? Je vais te ratatiner, je suis le champion du Uno ! Eh la Mouette, ça fait combien 1+1 ? Maman ! Maman, elle a dit « Deux ». Si, je te jure, elle a dit « euh euh. » Je crois qu’elle sait déjà compter. Maaaaaaman ! Elle m’a tapé ! Je lui ai déjà dit « non », mais elle continue ! La Mouette, arrête de me taper ! Regarde, elle me fait un câlin. C'est trop mignon. Viens, je vais te lire un livre. Je suis gentil, t’as vu ? Je lui lis un livre. Tu préfères qui, toi ? La Mouette ou moi ? Nan, je rigole. Tu vas dire que tu nous aimes tous les deux, je le sais très bien. Dis maman, c’est quoi, une « prière » ? Moi, je ne crois pas en Dieu. Parce que ça m’étonnerait qu’il y ait un bonhomme barbu dans les nuages ! Bon, j’ai faim ! Mais j’ai faim, j’ai faim, j’ai faim, j’ai trop faim ! Je peux manger un bout de pain ? Une banane ? Un chewing-gum ? Bon d’accord, donne-moi du fenouil alors. Pourtant, j’ai fini tout mon goûter, je te promets ! Qu’est-ce qu’on mange ? Des gnocchis ? Ouéééé ! Quand est-ce que j’irai à l’école tout seul ? Demain ? Moi aussi, j’aime bien y aller avec toi tu sais. Je veux pas aller à l’école tout seul avant le CM2. Et en plus, t’es la meilleure maman du monde ! Moi, je ne voudrai jamais changer de maman. « Si on a un chat, on l’appellera comme celui du voisin. Alex. Mais seulement dehors, parce qu'Alex-térieur ! » Alex-térieur. Alex-térieur. Alex-térieur. T'as compris la blague, maman ? Elle est bonne, hein ? Je peux te la raconter encore une fois ? Allez steuplé, steuplé, steuplé ! Alex-térieur.

(Et pour lire le monologue d'un Pois chiche de 5 ans, c'est ICI)

1.12.14

J'♥ mon libraire

(visuel @woodcampers)

Je fais partie de ces gens qui ne vont jamais au cinéma seuls. Films ou romans, je préfère partager. Quand j'ai un livre en cours, je raconte l'histoire, je lis mes passages préférés à voix haute, je le conseille autour de moi, je le fais circuler ou au contraire, je le débine d'une phrase lapidaire... Il n'y a pas longtemps, sur Facebook, on a vu fleurir des listes de livres. Il s'agissait de nommer des œuvres qui nous avaient marqués, comme ça, sans trop réfléchir. Et en découvrant les listes de parfaits inconnus, qui apparaissaient mystérieusement sur mon mur, je me suis surprise à avoir envie d'en rencontrer certains - séduite par leurs lectures.

Quand j'achète un livre, ça peut être parce qu'on m'en a parlé, parce que j'ai entendu une bonne critique, parce que j'aime l'auteur, parce que mon libraire le conseille ou tout simplement parce qu'il me fait de l’œil au milieu de ses petits copains... Ce qui est sûr, c'est que quand j'achète un livre, c'est TOUJOURS en librairie.

Alors d'accord, il faut aller jusqu'à la librairie. Ça te permet de faire de l'exercice au lieu de rester assis à pianoter devant ton ordinateur. Quand on pense aux festins pantagruéliques qui t'attendent en cette période de Noël, on peut dire que c'est un service que tu te rends à toi-même, finalement. Et oui, ton libraire n'a pas tout en stock. Mais il commande ce que tu veux. Avec le mien, par exemple, ça prend environ deux jours. Et même si la lecture est évidemment une occupation vitale, tu conviendras qu'on est quand même rarement à 48 heures près. Par ailleurs, ton libraire prend volontiers le temps de chercher avec toi le nom de ce bouquin "dont tout le monde parle en ce moment ! Même qu'ils l'ont adoré au masque et la plume ! Mais siiiii ! Il a une couverture rouge, je crois. Un pavé ! Et le nom de l'auteur commence par un V. Ou un B. Enfin, une consonne, quoi." D'ailleurs, quand on sait qu'en France, le prix du livre est unique depuis 1981 et que donc, ton libraire te prodigue ses conseils de façon totalement gratuite, on peut dire que d'une certaine manière, tu fais même des économies en allant chez lui. D'autant que lui, contrairement à d'autres, il utilise cet argent pour payer ses impôts en France et pour offrir à ses employés des conditions de travail et un salaire à peu près corrects.

Aujourd'hui, sur une belle initiative d'Eliabar, de la Brocante du coeur et de Gaëlle, c'est la journée J'♥ mon libraire. Alors tu me fais plaisir et tu files claquer une ÉNORME bise à ton libraire !