"C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule."


20.1.15

Le Pois chiche et les terrifieurs

(c) JEROME LIEBLING - "Behind tenement" Holyoke 1982


Vendredi 9 janvier. J'ai expliqué les événements de cette terrible journée au Pois chiche, sans trop édulcorer. J'ai évoqué les morts, j'ai parlé de Charlie Hebdo, j'ai essayé d'expliquer la satire et la liberté d'expression. Je ne suis pas non plus entrée dans les détails. Je ne lui ai pas raconté la bouffée de panique qui m'a fait quitter le bureau en hâte pour être à l'école plus tôt que d'habitude, comme si moi seule pouvais le protéger de la folie du monde. Je ne lui ai pas dit le cœur qui s'emballe, les yeux humides et la peur irraisonnée de le perdre qui me submerge soudain. Il a suffi de la chaleur moite de sa main dans la mienne, du flot monomaniaque de paroles que déversaient ses lèvres, de ses cheveux ras et doux sous mes caresses et du reflet velouté de ses yeux noisette pour que mon cœur affolé retrouve son rythme normal tandis que nous cheminions ensemble vers la crèche de la Mouette. On en a un peu reparlé dans la soirée, j'avais imprimé le numéro spécial du Petit Quotidien, mais j'ai senti qu'il n'était pas demandeur. Au moment de se laver les dents, seul avec moi dans la salle de bains, il a eu un moment de réflexion...

- Tu sais maman, quand je serai mort, je t'aimerai encore.
- Euh... Oui, moi aussi, quand je serai morte, je t'aimerai encore. Mais bon, on a un peu de temps devant nous, quand même. Je ne vais pas mourir tout de suite.
- D'ici 20 ou 30 ans.
- Ah. C'est un peu tôt, non ?
- Bon, tu mourras quand j'aurai 46 ans.
- Au moins, je suis prévenue. Je vais me préparer.
- Mais s'il y a des voleurs qui viennent chez nous, je préfère que ce soit moi qui meure.
- S'il y a des voleurs qui viennent chez nous, personne ne meurt. On les met dehors avec un bon coup de pied aux fesses !
- Et s'ils ont des pistolets ?
- Les voleurs, mon chaton, ils n'ont pas de pistolet (oui bon, j'ai menti). C'est très rare de voir quelqu'un avec un pistolet. Moi, par exemple, j'ai presque 20 ans (et des broutilles) et je n'ai jamais vu quelqu'un avec un pistolet.
- Mais les gens qui ont tué les journalistes de Charlie Hebdo, ils avaient des pistolets.

Nous y voilà... Tu les vois, les méandres tortueux de sa pensée ? J'ai évidemment répété qu'il n'allait pas mourir ni moi non plus, que ce qui s'était passé était tout à fait exceptionnel et que lui, le Pois chiche, n'avait rien à craindre. Et quelques jours plus tard, juste avant de partir à l'école...

- Tu veux que je te dise pourquoi les terrifieurs, ils ont tué les gens de Charlie Hebdo ?
- Dis-moi ?
- Pour nous faire PEUR. Et c'est pour ça qu'il faut pas avoir peur.

Je crois qu'on peut dire qu'il a compris l'essentiel.

13 commentaires:

  1. Non, il ne faut pas avoir peur des terrifieurs! Merci Pois chiche :)

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    1. Il fallait d'autant moins avoir peur qu'ils avaient perdu leur carte d'identité, or sans carte d'identité, on ne peut aller nulle part, dixit le Pois chiche; On ne peut même pas payer dans les magasins, alors ils ne pouvaient pas s'acheter à manger, tu vois. CQFD.

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  2. Ok, le "je t'aimerai encore après que je sois mort", là, c'est chialance direct. Trop trop joli ton pois-chiche qui comprend bien des choses.

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    1. Disons que ça contrebalance toutes ces fois où il a expliqué à de parfaits inconnus (le chauffeur de bus, la boulangère, sa maîtresse, un mec canon dans la rue) que je suis BEAUCOUP plus "grande" que son papa. Mon mec a 4 ans de moins que moi - autant te dire que pour le Pois chiche, je suis une véritable cougar...

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  3. Les mots justes, la bouche des enfants, toussa toussa. Il est fort ton pois-chiche !

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    1. C'est vrai. Et aussi beau. Intelligent. Drôle.
      Un peu bruyant par contre, mais bon : personne n'est parfait, hein.
      Merci d'être passée par ici, ma douce !

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  4. Les terrifieurs c'est rien que des gros branleurs !

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    1. Je dirais même plus, les terrifieurs c'est rien que des courgettes en fleurs (insulte suprême du Pois chiche (en notre présence (parce que d'après la dernière liste des gros mots, il connaît des insultes beaucoup moins poétique))).

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  5. c'est joli "courgette en fleurs" !

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    1. Depuis, je les ai entendus se traiter de grosse merde avec ses copains... Mes illusions ont volé en éclats.

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  6. splendide analyse du pois chiche!

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  7. Oui, hélas j'ai peur que ce ne soit pas si simple...

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  8. Il m'a collé la larmiche ce grand Pois Chiche.
    Ca me fait des frissons que ce soit pas ni naïf que ça dans la bouche d'un -encore- si petit garçon. Il a presque la même analyse que ma mamie (et c'était pas de la tarte non plus de lui expliquer)

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