"C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule."


19.5.14

Quelle connerie, la guerre...


Je propose d'en finir tout de suite avec les sujets qui fâchent : je n'ai aucune excuse valable pour justifier ce long silence. Je te dirais bien que j'ai eu un autre enfant, mais à force, tu vas finir par avoir des doutes. Et le pire, c'est que non contente de ne donner aucun signe de vie pendant des jours et des jours (et des mois et des années, même), je ne vais pas du tout te faire rire aujourd'hui. J'ose à peine l'écrire, mais je vais te parler lecture et documentaire. Quand je pense que mon blog porte le nom d'un bordel de Saïgon... Le respect s'perd, ma bonne dame.

Bref, voici donc une petite sélection culturelle avec la guerre en fil rouge pour achever de te foutre le moral dans les chaussettes les jours de pluie et de grisaille... Comme tu le sais sans doute, à moins d'avoir passé le 20ème siècle sur Mars, on commémorera cette année le centenaire de la déclaration de guerre de 1914. Il y a donc pléthore d'oeuvres sur le sujet, aussi bien à la télévision que dans les librairies (mais aussi au musée, d'ailleurs). Pour ma part, j'ai commencé avec le roman de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, qui a obtenu le prix Goncourt. Tu peux aller en lire un extrait là (clic). La première scène est magistrale. Décrite du point de vue de chacun des trois personnages principaux, c'est la seule finalement qui parle vraiment de la guerre et elle te met tout de suite dans le bain : ça se lit d'une traite et c'est très cinégénique. On pense forcément à l'immense Johnny Got His Gun. Par ailleurs, j'ai récemment découvert qu'un autre auteur de polar s'était penché sur cette période. Il s'agit de Thierry Bourcy, qui a écrit les aventures de Célestin Louise, flic et soldat dans la guerre de 14-18. Cinq histoires rassemblées dans un même recueil. En gros, on suit une poignée de soldats d'un bout à l'autre de la guerre. L'hommage à Arsène Lupin est assumé. Personnellement, j'ai quand même trouvé que les intrigues n'étaient pas à la hauteur, mais c'est peut-être parce que j'étais meilleur public à l'âge où j'ai lu Maurice Leblanc. Par contre, si le sujet t'intéresse, la description de la vie dans les tranchées est passionnante. Et ce fossé terrible entre le front et l'arrière pose déjà la question de la place laissée aux anciens poilus dans la société d'après-guerre. Pour finir, tu peux mettre des images sur tout ça avec le très bel album de Fred Bernard et Emile Bravo, On nous a coupé les ailes. Un texte juste et émouvant, mais sans pathos, sur l'horreur de la guerre.

Ensuite, j'ai enchaîné sur la deuxième Guerre mondiale. Avec d'abord Le Nazi et le barbier, d'Edgar Hilsenrath. L'auteur de Nuit y retrace le destin hors du commun de Max-Schulz-devenu-Itzig-Finkelstein, un ancien SS qui endosse l'identité d'un Juif sioniste pour échapper à la justice. Un récit empreint de cet humour décapant typique des blagues juives où l'absurde côtoie le désespoir et touche à l'universel.

Mais LE livre qui m'a bouleversée ces derniers temps, c'est Kinderzimmer, de Valentine Goby. Depuis, je le recommande à tous ceux que je croise. Contrairement à Nuit, par exemple, qui décrit un monde où l'humanité n'est qu'un vernis qui s'écaille dès qu'il est question de survie, on sent ici une vrai foi en l'être humain et son extraordinaire résilience. Comme le dit Valentine Goby elle-même : «D’abord, il y eut cette rencontre, un jour de mars 2010 : un homme de soixante-cinq ans se tient là, devant moi, et se présente comme déporté politique à Ravensbrück. Outre que c’est un homme, et à l’époque j’ignorais l’existence d’un tout petit camp d’hommes non loin du Lager des femmes, il n’a surtout pas l’âge d’un déporté. La réponse est évidente : il y est né. La chambre des enfants, la Kinderzimmer, semble une anomalie spectaculaire dans le camp de femmes de Ravensbrück, qui fut un lieu de destruction, d’avilissement, de mort. Des bébés sont donc nés à Ravensbrück, et quoique leur existence y ait été éphémère, ils y ont, à leur échelle, grandi. J’en ai rencontré deux qui sont sortis vivants de Ravensbrück, ils sont si peu nombreux, et puis une mère, aussi. Et la puéricultrice, une Française, qui avait dix-sept ans alors. C’était un point de lumière dans les ténèbres, où la vie s’épuisait à son tour, le plus souvent, mais résistait un temps à sa façon, et se perpétuait : on y croyait, on croyait que c’était possible. Cette pouponnière affirmait radicalement que survivre, ce serait abolir la frontière entre le dedans et le dehors du camp. Envisager le camp comme un lieu de la vie ordinaire, être aveugle aux barbelés. Et donc, se laver, se coiffer, continuer à apprendre, à rire, à chanter, à se nourrir et même, à mettre au monde, à élever des enfants ; à faire comme si. J’ai écrit ce roman pour cela, dire ce courage fou à regarder le camp non comme un territoire hors du monde, mais comme une partie de lui. Ces femmes n’étaient pas toutes des héroïnes, des militantes chevronnées, aguerries par la politique et la Résistance. Leur héroïsme, je le vois dans l’accomplissement des gestes minuscules du quotidien dans le camp, et dans ce soin donné aux plus fragiles, les nourrissons, pour qu’ils fassent eux aussi leur travail d’humain, qui est de ne pas mourir avant la mort. Mila, mon personnage fictif, est l’une de ces femmes. Kinderzimmer est un roman grave, mais un roman de la lumière.»

La puéricultrice de la pouponnière, c'est Marie-José Chombart de Lauwe, une jeune Bretonne entrée en résistance à 17 ans et déportée à 20, qui n'a eu de cesse de témoigner sur les camps. Je t'avoue que j'ai découvert son nom en le lisant dans les remerciements, je n'avais jamais entendu parler d'elle. Du coup, je suis allée faire quelques recherches, par curiosité, et je suis tombée sur cette interview incroyable qu'il faut vraiment aller écouter.

Bon, j'étais partie pour te parler aussi de The Kill Team, un documentaire diffusé par Canal + la semaine dernière, sur des soldats américains qui se sont mis à tuer par plaisir en Afghanistan, mais je vais en garder un peu pour une prochaine fois. Cela dit, si tu as l'occasion de le voir, c'est édifiant.

Y a encore quelqu'un ? Je sais pas pourquoi, je sens que je t'ai perdu, là. J'avais pas menti hein, je t'avais dit qu'aujourd'hui, je ne te ferais pas rire. Allez, promis, la prochaine fois, je te raconte mon expérience extrême sur un train Ouigo entre Paris et Montpellier...